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LOEIL Gallery  par Grégoire Prangé

     Fondée en 2017 par Laurence Brière, Loeil est une galerie qui propose aux visiteurs une relation privilégiée avec les artistes, une rencontre intime de leur espace de création, de leur rapport à la matière et de leurs processus créatifs, pour une découverte étroite de leur travail et une appréciation profonde de leur œuvre. Mais Loeil Gallery c’est aussi une histoire familiale, un développement personnel, des chocs esthétiques et des rencontres déterminantes. Une histoire riche et sensible, qui a conduit inexorablement à la fondation de cet espace de partage et de découvertes.

 

     Sous la grande table de bois brut, des morceaux de verre coloré s’amoncèlent en vrac, par centaines, pêle-mêle, s’accumulent et débordent même, formant montagne aux reflets fugitifs. Jetées là, inexorablement, les chutes de verre nourrissent le tas de lumière. Cette matière résiduelle vient de la fabrication de vitraux, et l’amas en question se trouve dans les années 1960 à Levallois, au cœur de l’atelier Brière, famille de maîtres-verriers depuis le XIXe siècle. C’est là, dans un capharnaüm d’expériences esthétiques multiples, que naît véritablement Loeil Gallery.

 

     Dans la caverne aux trésors grandissent Silvie, Laurence et Louis Brière. C’est la vie d’atelier, la cohabitation du public et du privé, une enfance en famille élargie, plusieurs générations d’artisans rassemblées, et la transmission d’un savoir-faire, d’une énergie. Cinquante ans plus tard, l’atelier n’est plus mais l’énergie demeure, et Laurence crée Loeil Gallery. Dans cette entreprise elle peut compter sur l’aide de ses proches, et renaît l’ambiance d’atelier par des chemins détournés.

 

     Étudiante en sciences économiques, employée de banque, active dans la mode et la publicité avant de créer son entreprise à Genève, Laurence Brière semblait s’être écartée du terreau familial. Elle s’éloigne effectivement des arts visuels, mais toujours développe, forme et nourrit sa grande sensibilité par la musique, omniprésente. Ouverture absolue, c’est elle qui lui apprend à lâcher prise, l’envahit et la prépare à une nouvelle rencontre, déterminante.

 

     En 2013 à Marseille, Laurence Brière rencontre le travail du peintre Vladimir Veličković. On parle souvent du choc esthétique, du coup de foudre artistique qui bouleverse durablement la perception de celui qui le vit. La rencontre avec Veličković est de cet ordre là : devant cette peinture où la violence touche au sublime, chairs malmenées et transies, corps misérables à l’érotisme dérangeant, devant cette cruauté picturale, ces cauchemars merveilleux, l’électrochoc est total et durable, nourri notamment par la lecture du livre de Michel Onfray, Spendeur de la catastrophe : la peinture de Vladimir Veličković (2007).

 

     Chez Laurence Brière, cette exposition relève aussi de la réconciliation avec son histoire, marque pour elle un tournant majeur, la naissance d’une soif, d’un besoin, d’une nécessité, et si l’histoire de Loeil Gallery plonge ses racines au plus profond de l’atelier familial, c’est bien en ce jour précisément qu’en germe le premier bourgeon.

 

     Il a fallu six ans au désir pour mûrir, se construire et voir la lumière, en 2019. Pour comprendre la galerie, il faut avoir en tête ces fondements essentiels, les ressentir véritablement, car Loeil Gallery est avant tout une émanation sensible. Tout dans son identité l’exprime. Le nom d’abord. L’œil. La vue. Le regard. Évidemment, mais ce n’est pas tout. L’œil c’est aussi l’un des premiers souvenir artistiques de Laurence Brière. Dans les années 1960, l’atelier est pris dans une commande gigantesque : les vitraux de l’église St Maximin de Metz, dessinés par Jean Cocteau. Des années de travail. Et ces yeux stylisés, emblématiques de l’extraordinaire ensemble. Deux cercles concentriques dans une simple amende déposés, les yeux de l’étonnement, qui marquèrent sa jeunesse et la fascinent toujours. Loeil Gallery donc, et un clin d’œil au père jusque dans le choix du logo, citation fidèle de ces yeux de Cocteau mis en verre dans l’atelier familial.

 

     La sensibilité se retrouve aussi dans le fonctionnement interne de la galerie, qui renvoie nous l’avons vu à l’énergie de l’atelier. Dans cette entreprise, Laurence est accompagnée de sa sœur Silvie, artiste plasticienne, et de son frère Louis, maître-verrier. Mais le concours familial ne s’arrête pas là et s’enrichit de l’implication des filles de Laurence et Silvie Brière, Constance et Claire. Une affaire de famille donc, l’envie de se retrouver autour de ce projet commun, au service de l’art, dans l’intimité de la vie d’atelier et en dialogue constant avec les artistes.

 

     Car Loeil Gallery tire de son histoire une volonté de rendre compte au public de l’atmosphère particulière qui émane du studio, en le conduisant au plus près de la pratique des artistes qu’elle représente. L’œuvre dévoile ainsi son contexte de création, raconte son histoire matérielle. De son enfance nourrie par l’artisanat d’art, Laurence Brière garde vivace une fascination pour l’intelligence de la main, fascination qui plonge ses racines dans la tradition familiale, le vécu, l’imaginaire aussi – La Main enchantée (1832) de Gérard de Nerval habita son enfance – et l’idée que la pratique manuelle, le métier, est partie prenante de tout processus créatif. Alors, les artistes de Loeil Gallery nous rappellent – s’il en était besoin – qu’au delà d’un sujet, l’art demeure une mise en forme, une confrontation à la matière. Agnès Debizet, Patrick Sainton, Silvie Brière, T-young Chung, Brankica Zilović, Bogdan Pavlović et bien sûr Vladimir Veličković sont ainsi des artistes plasticiens, des praticiens de la matière.

 

     C’est finalement habitée par cette histoire personnelle d’une grande richesse, soutenue par la collaboration constante d’une famille-atelier soudée, animée par l’amour de l’art et de la matière transcendée, que Laurence Brière a décidé de fonder Loeil Gallery. Pour que toujours se transmettent l’émotion, une mise en mouvement sensible, un besoin d’émerveillement dans l’urgence de l’art.

Grégoire Prangé

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